4 principes pour les gouverner tous. 4 principes pour les trouver, 4 principes pour les amener tous et dans les ténèbres les lier…

Voici sans doute la plus mauvaise parodie de Tolkien (toutes mes excuses). Cependant, ces mauvais vers me permettent d’aborder les 4 principes de l’éthique biomédicale qui sont encore aujourd’hui utilisés par de nombreux comités ou groupes éthique pour résoudre des problématiques complexes. Parlons donc du respect de l’autonomie, de la bienfaisance, de la non-malfaisance et de la justice.

Si vous déjà lu quelques textes en éthique que ce soit des écrits d’individus ou d’institutions vous avez certainement déjà rencontré les principes ci-dessus. D’origine américaine, ces principes se sont ensuite répandus dans le monde et ont trouvé un écho important en France même si l’interprétation qui en a été faite n’est pas toujours celle de ses créateurs. Certains ne jurent tellement que par ces principes que l’on pourrait croire que c’est La (seule) pensée éthique fondamentale. Comme on pourrait s’en douter, la fondation du mouvement de bioéthique naît d’une part des exactions des médecins nazis. Après la seconde guerre mondiale, une nouvelle ère s’ouvre en occident. C’est une nouvelle époque où l’individu prend une place de plus en plus importante avec de nombreux combats pour de nouvelles libertés. Les scientifiques américains qui avaient avancé que les exactions nazies n’étaient que le fait de sadiques se sont vus reprocher, à leur tour, plusieurs de leurs recherches. Il est possible de noter un article (en anglais) de 1966 écrit par Beecher qui présente de nombreux cas de recherches qu’il juge non éthique. Assez étonnamment et c’est peut être un biais de l’auteur, un certain nombre de ces recherches consistaient à insérer des aiguilles dans le cœur de patients plus ou moins (soyons clairs plutôt moins que plus) informés des conséquences éventuelles. Il est aussi possible de citer deux études un peu plus récentes : l’étude Willowbrook (1956-1970) et l’étude Tuskegee (1932-1972). Je vous laisse consulter les liens pour vous faire votre propre idée sur ces pratiques… Ces recherches ont été pratiquées aux Etats-Unis mais ils ne font pas figure d’exceptions tous les pays y compris la France ont eu leur lot de recherches douteuses. Un exemple français ? L’expérience du professeur Milhaud en 1985 sur un patient en état végétatif chronique qui a été bien commenté par un avis du CCNE. L’avis fait dix pages et je vous conseille fortement de le lire. Le comité rappelle avec une bonne acuité des principes qui seront par la suite intégrés dans la loi de 1988 sur la recherche biomédicale. Le constat posé en 1966 par ces pratiques de recherche est donné par Beecher avec précision :

  • Les patients sont facilement manipulables s’ils sont correctement approchés par un médecin.
  • Les patients n’acceptent pas de compromettre sérieusement leur santé pour l’intérêt unique de la science
  • Un expérience est éthique ou non à ses débuts et la fin ne justifie pas les moyens
  • Le consentement libre et éclairé n’est pas facile à obtenir mais ne peut être optionnel

De ces pratiques scientifiques naissent plusieurs mesures en Amérique et notamment un rapport qui nous intéresse tout particulièrement. Le rapport Belmont (disponible ici) publié en 1979 par le National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research et le Department of Health, Education and Welfare pose trois principes de base pour la recherche :

  • Le respect de la personne par le respect et la protection de l’autonomie.
  • La bienfaisance qui est basée sur le « primum non nocere » hippocratique.
  • La justice qui porte une notion d’équité.

Je ne vais pas m’attarder sur ces trois principes, qui sont par ailleurs bien détaillés dans les sources disponibles. Il est temps d’aborder les sacro-saints 4 principes de l’éthique biomédicale. Ceux-ci ont été définis dans un livre dont la première édition (aujourd’hui, on en est à la septième édition) est parue en 1979 : Principles of biomedical ethics. le livre, écrit par Tom Beauchamp (professeur de philosophie) et James Childress (philosophe, théologien et professeur d’éthique), pose 4 principes :

  • Le respect de l’autonomie
  • La bienfaisance
  • La non-malfaisance
  • La justice

Je me vois forcé, avant de vous détailler tout cela, de vous annoncer que je n’ai eu entre les mains que la quatrième édition en français de 2008 car le bouquin est @&@## de dur à trouver aussi bien en anglais qu’en français. (Aucune édition n’est disponible en français à l’heure actuelle et le texte anglais nécessite de l’importer des états-unis). Le livre est relativement massif car mon édition fait plus de 640 pages. Je dis ça pour que vous compreniez que je ne peux vous en faire une synthèse exhaustive. Mon but est uniquement de vous faire découvrir ce mode de raisonnement et de vous enjoindre à chercher sur internet la multitude d’articles qui utilisent ces principes.

  • Le respect de l’autonomie

Il n’y a pas à tortiller, lorsque l’on parle des 4 principes on peut être certain de tomber sur la notion d’autonomie. Cette notion d’autonomie a été tellement utilisée à tort et à travers que dans les éditions successives du livre, Beauchamp et Childress ont dû rappeler que, bien que ce principe soit détaillé en premier dans le livre, il n’est pas prioritaire par rapport aux autres. En effet, certaines utilisation des 4 principes ont conduit à préférer l’autonomie du patient à tout autre chose, cela conduisant parfois les soignants à complètement abandonner les patients sous le prétexte du respect de leur autonomie. Il est aussi à noter que ce n’est pas l’autonomie qui est le principe mais le respect de l’autonomie. En effet, l’autonomie n’est pas toujours accessible aux individus en fonction de leur condition physique, intellectuelle, psychologique, … De ce fait, ce n’est pas l’autonomie en tant que telle qu’il faut ériger en principe mais le respect d’une autonomie qui prend des formes très différentes en fonction des individus. Mais qu’est ce que l’autonomie ? L’autonomie prend de nombreuses forme aussi bien en fonction des situations que des individus qui la définissent. Cependant, comme son étymologie l’indique, l’autonomie est la possibilité d’autorégulation ou d’autogouvernance. C’est à dire, le pouvoir d’agir librement en fonction de ses projets. Pour qu’il y ait autonomie il faut donc une liberté (comme indépendance par rapport aux influences extérieures) et une capacité à agir intentionnellement. Dans les faits, ce respect de l’autonomie se met en place sous de nombreuses formes. Les auteurs citent tout particulièrement la nécessité de dire la vérité aux patients, de respecter leur intimité, de protéger la confidentialité des informations les concernant, d’obtenir le consentement des patients avant une intervention, de les aider à prendre une décision s’ils le demandent… L’un des problème du respect de l’autonomie c’est qu’il est difficile de le cadrer car il est en constante interaction. Par exemple, l’autonomie d’un patient trouve sa limite dans l’autonomie du soignant qui peut refuser certains actes, il reste alors à déterminer quelle autonomie privilégier et le justifier. On le voit bien, le passage de la théorie à la pratique peut s’avérer compliqué dans les faits lorsque les patients refusent de faire usage de leur autonomie ou, au contraire lorsqu’ils souhaitent en abuser. Il est à noter que Beauchamp et Childress réfutent l’idée d’un devoir d’autonomie des patients (notamment vis-à-vis de la prise de décision). Pour eux, c’est aussi un choix que de refuser de faire usage de son autonomie face à la médecine. Ils rappellent que le respect de l’autonomie implique un droit de choisir et non un devoir de choisir.

  • La non-malfaisance et la bienfaisance

La définition de la non-malfaisance s’avère plus simple. Il affirme l’obligation de ne pas nuire à autrui. On retrouve ici encore le principe associé à Hippocrate « primum non nocere » même si son origine reste clairement incertaine. La bienfaisance est définie comme l’obligation morale de promouvoir le bien-être d’autrui. Les auteurs nous expliquent quelle est le lien entre la non-malfaisance et la bienfaisance car ils sont étroitement liés. Et il se pose rapidement la terrible question qui est de savoir quel principe mettre en avant. Il est possible de poser une question : faut-il en premier ne pas nuire ou en premier agir pour le bien-être d’autrui ? La réponse semble facile ? Je ne trouve pas ! Prenons un exemple simple : qu’est ce qui est le plus acceptable ? Ne pas blesser quelqu’un (malgré son côté insupportable) ou ne pas secourir une personne qui se noie en raison du danger que cela représente. Il semble que ces deux actions sont plutôt acceptables et justifiable. On accepte que l’on ne fasse pas acte de bienfaisance à tout moment par contre il nous sera reproché un acte de malfaisance comme par exemple le fait de blesser intentionnellement quelqu’un. Donc la non-malfaisance est toujours supérieure à la bienfaisance ? Eh bien… Non ! Trouvons-nous un autre exemple simple, vous voulez savoir si vous coagulez correctement, pour cela, je vous prélève du sang pour faire les tests biologiques. Alerte malfaisance ! En effet, en faisant ma prise de sang, je vous ai exposé à un risque minuscule mais possible de vous causer une infection. Mais vous allez rétorquer, à raison, que c’est pour votre bien que l’on fait ce test, pour vous éviter de vous vider de votre sang si vous vous blessez, par exemple. Dans ce cas, on choisit logiquement de privilégier la bienfaisance à la non-malfaisance car la situation l’exige. Et d’ailleurs, toute la pratique de la médecine est basée sur cette balance subtile entre le bien que l’on cherche pour le patient et les actions que l’on doit effectuer qui vont potentiellement lui nuire. Par ailleurs, en droit français, l’une des seule atteinte possible à l’intégrité du corps humain est la nécessité médicale sinon tous les soignants seraient condamnés pour coups et blessures volontaires. Nous sommes donc coincés, en effet, parfois la bienfaisance est prioritaire et parfois la non-malfaisance l’est. Beauchamp et Childress tranchent en disant que généralement l’obligation de non-malfaisance prévaut sur l’obligation de bienfaisance et que dans certains cas la non-malfaisance prévaut sur la bienfaisance même si la bienfaisance aurait été utile. Par exemple, tuer un condamné à mort pour récupérer ses organes afin de sauver des innocents. Les auteurs insistent tout particulièrement sur la complexité (et le danger) de prioriser les principes. Il proposent de réfléchir sur le schéma suivant plutôt que d’essayer de hiérarchiser la non-malfaisance et la bienfaisance : » la non-malfaisance

  1. Personne ne devrait infliger le mal ou faire du tort

La Bienfaisance

  1. Toute personne devrait empêcher le mal ou le tort.
  2. Toute personne devrait éliminer le mal ou le tort.
  3. Toute personne devrait faire ou promouvoir le bien.« 

On voit bien ici la différence entre la non-malfaisance qui consiste en ne pas agir par rapport à la bienfaisance qui consiste en un agir. On trouve dans ces principes (comme dans les autres) une part importante de morale cela prouvant qu’éthique et morale ne sont pas fondamentalement détachés. Au contraire, ils sont en dialogue constant.

  • La justice

Ce principe est sans aucun doute celui qui m’est le plus obscur pour la simple et bonne raison que le terme en lui même est particulièrement difficile à appréhender dans une idée pratique. En effet, tout le monde parle de justice, souvent à la façon de Callimero d’ailleurs : « c’est vraiment trop injuste ! » Mais dans les faits, qu’est ce que la justice ? Une définition pourrait être : « ce qui est équitable et juste dans le traitement d’une personne, à la lumière de ce qu’elle mérite et de ce qui lui est dû. » La question qui doit vous venir à l’esprit (en tout cas, c’est celle qui me vient) : qu’est ce que ça fiche dans de l’éthique pour la biomédecine ? C’est une très bonne question, d’autant plus que la notion de justice est terriblement différente en fonction des philosophies ce qui en fait un bordel monstre. Dans le livre, la justice est illustrée par différentes questions comme celle du droit à un minimum décent de soins médicaux, la juste allocation des ressources de santé, les priorités,… Sur cette question difficile Beauchamp et Childress concluent sur la richesse des approches de la justice et sur le fait que cette richesse est aussi à double tranchant. En effet, le manque de consensus implique une approche disparate qui met en péril les effort pour donner à tous un accès aux soins équitable et permet aussi d’éviter que certaines questions de fond soient posées sur l’accès aux soins.   Les 4 principes proposés par Beauchamps et Childress sont revendiqués comme des principes Prima Facie. C‘est à dire qu’ils ne sont pas absolus et qu’ils ne sont pas des normes rigides sans compromis possible. Pour les auteurs « une obligation prima facie doit être remplie, à moins que, dans une situation particulière, elle n’entre en conflit avec une obligation d’égale valeur ou plus forte. »

Conclusion

Dans les faits, ces principes sont faciles d’utilisation et permettent de partir d’une même base pour un dialogue. En effet, la force du principisme est de promouvoir une réflexion pluri-disciplinaire et une décision partagée. Cependant, tout autant que ces principes sont faciles d’utilisation, il est difficile de les utiliser correctement. En effet, outre le piège de l’autonomie discuté plus haut, il est possible de faire rentrer plus ou moins tout et n’importe quoi dans ces principes et de les agencer à tel point qu’ils soient vidés de leur sens. De plus, ces principes ne sont clairement valables que dans une société occidentale. Il n’est pas possible de les utiliser au sein de sociétés qui n’ont pas du tout les même conceptions d’autonomie, d’individualité ou de communauté. Ce sont là les deux grands piège des 4 principes. Il est trop facile de penser que leur aspect permet de traiter toutes les questions de façon systématisé. Il est possible de rencontrer des écrits où les quatre principes sont utilisés de systématiquement sans qu’il ne soit question de leurs limites ou de la nécessité d’en dégager de nouveaux. Les 4 principes datent de 1979 et malgré les mises à jour régulière peut être que le modèle commence à devenir obsolète. Avec les nouvelles problématiques d’éthique médicale comme la médecine dite personnalisée, les entrepôts de données de santé, il devient nécessaire de changer nos modes de réflexion pour les adapter à nos nouveaux problèmes. De plus, pourquoi se limiter à 4 principes ? Pourquoi ne pas chercher nos propres principes en fonction de nos valeurs et des valeurs de nos sociétés ? Pourquoi ne pas défendre un principe de vulnérabilité, un principe de confiance, un principe de responsabilité..? Il me semble primordial de connaitre les 4 principes car le travail de Beauchamp et Childress est proprement formidable avec un livre qui comporte de nombreux exemples et mise en pratique. D’autant plus que les mises à jour en fonction des critiques et remarques l’a rendu encore plus pertinent au fil des années… Cependant, il ne faut pas oublier que l’éthique ne naît pas tant de théories que de la complexité des situations que nous rencontrons en tant que soignants ou patients. Alors pourquoi ne pas réfléchir à nos principes personnels pour les soumettre à la réflexion des autres ? En éthique biomédicale, tous les citoyens sont légitimes pour apporter leurs réflexions et leurs expériences ! Complexe…

 

Première publication en 2018 sur Complexesethique.fr

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